Denise de Casabianca : la belle magicienne

Les monteuses corses ont beaucoup apporté au cinéma français, voir au delà, rappelons- nous André Davanture et son rapport au cinéma africain. Denise de Casabianca , « la belle magicienne » comme l’a écrit Jean Gruault,  nous a quitté le 1 er décembre dernier, elle a accompagné les cinéastes les plus prestigieux : Jacques Rivette, Barbet Schroeder, Patrice Chéreau, Raoul Ruiz , entre autres .

Née à Paris en 1931, issue d’une grande famille bastiaise, fille  de Louis de Casabianca, architecte qui a conçu le pavillon de la Corse à l’Exposition Universelle de Paris en 1937.  Denise garde le souvenir de Tino Rossi descendant le grand escalier de ce pavillon avec son père. 

Un père mobilisé durant la dôle de guerre, période où Denise de Casabianca part avec sa mère se réfugier  à Bussang dans les Vosges, ce village est un haut lieu du théâtre populaire et participatif  avec « Le théâtre du peuple » dont la devise est : « Par l’art pour l’humanité », un espace de artistique créé par Maurice Pottecher, écrivain, poète et dramaturge le père du fameux journaliste judiciaire Fréderic Pottecher.  « Je garde de ce moment de ma vie le souvenir de ma rencontre avec la fiction, le texte vécu et parlé et peut être souligne Denise de Casabianca, le plus important : l’harmonie et la gentillesse qui s’en dégage de manière désintéressée ».

La guerre oblige la famille à revenir en Corse, Bastia et  Casabianca plus exactement berceau de la famille en Castagniccia.

 Denise découvre le 7e art à l’Ecole du Centre où son institutrice Madame Mariani emmène la classe  dans les salles de cinéma, pour voir des films et en discuter au retour. 

Au moment du baccalauréat Denise de Casabianca retourne avec sa mère à Paris , en décidant d’entrer directement dans la vie active. Dans un centre d’orientation d’étudiants, elle découvre les métiers du cinéma et le montage l’interpelle plus précisément.  Denise  saisit l’opportunité d’un stage au Laboratoire LTC  où elle découvre le métier de monteuse : «  on coupe, on colle , on agence la pellicule. Il n’y avait que des femmes chaleureuses, précise t-elle. Elles m’ont appris les rudiments du métier ».

 Denise de Casabianca fait la connaissance de deux étudiants de l’IDHEC  : Louis Malle et d’Alain Fraissé . Ce dernier sera son mari, plus connu  sous le nom de cinéaste d’Alain Cavalier, le père de Camille de Casabianca. Louis Malle qui collabore avec le Commandant Cousteau, rappelons nous « Le monde du silence » Palme d’or cannoise en  1956, demande à Denise  de trouver des images d’archives du Professeur Piccard et de son célèbre Bathyscaphe, qui intéresse au plus point un certain Jean-Yves Cousteau ! 

Denise chargée de ces précieuses images  se rend au domicile du Commandant Cousteau, où elle rencontre un autre corse : Jean Luc Carbuccia, éditeur de l’aventurier du monde sous- marin. Jouant la solidarité de la Diaspora,  il lui propose son soutien au cas où. 

Et cela ne va pas tarder, apprenant que la mère de ce Carbuccia est productrice du film de Jacques Becker « Ali Baba et les 40 voleurs » , dont l’affiche est signée par René Ferracci,  le montage assuré par Marguerite Renoir. Un coup de téléphone de Jean Luc Carbuccia et Denise de Casabianca devient assistante monteuse ! 

Nouvelle Vague

Au cours du montage, elle  apprend que Jean Renoir quitte Hollywood pour Paris , avec le projet de monter le Jules Cesar de Shakespeare dans les arènes d’Arles.  C’est Jacques Rivette en personne, modeste assistant stagiaire qui se propose de descendre Denise dans la cité antique. Dans la voiture qui tient d’un ancien taxi londonien, c’est une bande de copains qui se forme. Ils sont sept à se serrer pour emprunter la nationale 7 : Charles Bitsch , Pierre Lhomme , Jacques Rivette, François Truffaut, Alain Cavalier, et Jean-Claude Brialy. Ce dernier a évoqué dans son livre de souvenirs « Le ruisseau des singes », ce voyage si particulier. Un sacré générique de La Nouvelle Vague, qui va faire parler par la suite en tant que critique, réalisateur, chef opérateur, acteur.

Cette Nouvelle Vague fera de Denise de Casabianca la monteuse du premier film de cette écriture cinématographique française si particulière qui étonnera le monde entier : « Le coup du berger » écrit et réalisé par le trio Claude Chabrol-Jacques Rivette-Charles Bitsch avec Jean Claude Brialy, Anne Doat,  et Jacques Doniol Valcroze. Suivront les deux premiers longs métrages de Jacques Rivette « Paris nous appartient » et la sulfureuse (pour l ‘époque !) « La Religieuse ».

 Le début d’une filmographie qui force le respect  : Jacques Demy, Edouard Molinaro, Jean Becker, Robert Enrico, René Allio, Nikos Papatakis, Jean Eustache pour « La maman et la putain » , Daniel Vigne pour « Le retour de Martin Guerre », Henri Graziani.

 Parmi les cinéastes qui l’ont marqué, Denise de Casabianca aimait à évoquer : Jacques Rivette évidemment, Alexandre Astruc cinéaste inventeur de la caméra stylo «  Je lui dois d’avoir découvert une chose essentielle du montage et de la dramaturgie, c’est la transformation. Si le personnage n’évolue pas en fonction de l’histoire, du récit, du début à la fin, s’il n’y a pas de transformation, quelque chose ne va pas. 

Barber Schroeder a compté énormément dans ma carrière, j’ai monté plusieurs de ses films très importants : More, Idi Amin Dada, Maîtresse, Koko.  

 Patrice Chéreau sur  le tournage de « L’Homme Blessé  est l’une de mes plus importantes rencontres cinématographiques. Et l’un de mes grands regrets.  Directeur du théâtre des Amandiers à Nanterre il voulait réaliser un film avec les élèves comédiens de son école et m’a demandé d’être avec lui sur le  tournage. Bêtement et fatiguée j’ai refusé. Je le regrette encore.  Avec Raul Ruiz sur le « Temps retrouvé » j’ai apprécié un être étonnant et inclassable ».

Et la Corse…

 Bien sûr Denise de Casabiance mère  attentive, monte les premiers films de sa fille Camille: « Pékin Central », « Après la pluie », « Octavio » . « Quoique moins connu du public,  j’ ai beaucoup apprécié  ce  dernier film tourné avec Patrick Blossier à l’image, sur l’adoption par une famille américaine de l’Alaska d’un petit colombien ». 

Et le cinéma en Corse dans tout cela ? Denise aime à évoquer  le tournage de « Nous deux » de Henri Graziani, œuvre attachante produite par Claude Berri sur le retour d’un couple insulaire sur  sa terre natale,  lors de la retraite avec Philippe Noiret et Monique Chaumette. « Tourné, monté en Corse, que dire de plus ? Si ce n’est le bonheur d’y avoir participé .

 Mon lien avec la Corse où j’ai vécu dix années cruciales, s’est tissé avec mon grand père paternel et surtout mon père architecte et peintre. J’ai découvert la Corse grâce à ses œuvres et son travail. Il m’emmenait avec ma mère quand il peignait et quelques fois sur ses chantiers, voyages dont je garde un vif souvenir, ému et fort. Chaque fois que je le peux, je reviens dans la petite maison que nous avons à Casabianca en face du San Pedrone où je désire reposer » confie Denise.

Denise de Casabianca aimait faire partager  et transmettre aux plus jeunes son expérience, rencontrant les élèves du lycée de Porto-Vecchio dans le cadre des classes audiovisuelles.  Invitée à plusieurs reprise par « La Corse et le cinéma » l’association fondatrice de la cinémathèque de Corse présidée par Jean-Pierre Mattei, partenaire de ces classes.

On pouvait voir régulièrement dans les rues bastiaises, ou sur les chemins du Cap Corse, Denise et son mari Daniel Goldenberg écrivain, scénariste. Quittant leur domicile de Rome ou Paris, le couple discret toujours main dans la main, ne ratait jamais le rendez-vous de février du festival du cinéma italien de Bastia. Denise et Daniel  ont été les membres talentueux et efficaces du premier jury, décernant la suprême récompense à « La Finestre di Fronte » de Ferzan Ozpetek.

Dans son  avis de décès paru dans le quotidien « Le Monde » Daniel Goldenberg a écrit : « A ma femme que j’ai tant aimée et admirée durant cinquante ans, à l’aube du 1 er décembre 2020, alors que je la veillai, a ouvert les yeux et les as tenus grands ouverts. Ils étaient vifs, lumineux, comme au temps de notre bonheur. Denise m’a regardé quelques secondes, puis elle m’a quitté ». 

La Corse cinématographique se devait de rendre hommage à Denise de Casabianca, saluons l’initiative d’ Arte Mare qui honore sa mémoire.

Dominique LANDRON