Le prix Ulysse à l’ensemble de l’œuvre est cette année accordé à la romancière espagnole Rosa Montero, dont l’œuvre, riche d’une vingtaine de livres dont douze romans, est traduite pour le compte des éditions Métailié, dans sa collection « Suite hispanique », par la romancière Myriam Chirousse, qui lui prête sa plume avec une constance indéfectible.
Auteure à succès dans son pays, où on la connaît aussi pour ses chroniques publiées dans le grand quotidien El País, elle se définit elle-même comme un écrivain né, dont la condition, l’existence même, serait sans discontinuer suspendue au fil tendu de l’écriture. Sans elle, sans ce qu’elle appelle les rêves éveillés que sont ces récits qui s’imposent à elle, la vie serait insupportable, le monde invivable et incompréhensible. Le regard qu’elle porte sur celui-ci trouve sa traduction dans la matière ignée du langage qu’elle sculpte dans un souci intransigeant de l’exactitude, de la profondeur, de la beauté, qui puisse exprimer sa singularité. Ses romans qu’on pourrait qualifier de thrillers existentiels, trépidants, pleins de surprises, nous parlent, souvent avec humour, du cours du temps, de l’échec, de la mort, de la marginalité et la folie, de l’amour, de la gloire et du désir.
Rosa Montero a l’art inégalable de saisir ses personnages à un moment-clé de leur vie où tout peut basculer, ou la quête de sens – qui pourrait être celle de chacun d’entre nous – s’impose brutalement avec une urgence incontrôlable. Elle les saisit sur cette frontière de la quarantaine où l’univers se recompose, où les cartes sont rebattues, quand nous pensions savoir qui nous sommes.
L’une des œuvres les plus ambitieuses de Rosa Montero est une trilogie futuriste. La détective Bruna Husky vit dans un monde global où les États-Unis d’une Terre écologiquement dévastée, privée d’animaux, irrespirable, en 2109 sont habités par deux sortes d’êtres : les humains et les réplicants (des androïdes dont la mémoire a été fabriquée et qui sont programmés pour mourir jeunes, parfois dans des crises de folie meurtrière. Dans le premier volet, Des Larmes sous la pluie, une main anonyme corrige les Archives Centrales de la Terre pour instrumentaliser l’histoire de l’humanité. À Madrid, Bruna Husky, née à l’âge de 25 ans et destinée à ne vivre qu’une dizaine d’années avant de mourir d’un cancer fulgurant veut comprendre. L’Humanité elle-même commence à prendre conscience. Dans Le Poids du cœur, l’héroïne enquête sur une sombre affaire de poubelles atomiques aux confins du monde, dans une zone où règne une guerre permanente. Le troisième volet Le Temps de la haine est consacré à la recherche du commissaire Lizard, enlevé et destiné à être décapité par de jeunes terroristes. Elle découvre une colonie qui refuse toute technologie, une guerre civile se profile.
Bruna Husky n’est pas très différente des autres héroïnes de Rosa Montero. Elles en ont les angoisses, l’énergie et une volonté farouche d’en découdre avec l’adversité. Dans la Chair, Soledad, une commissaire d’expositions d’art de soixante ans, s’éprend contre toute attente du gigolo qu’elle a engagé pour l’accompagner à la première de l’opéra Tristan et Iseult de Wagner. La Fille du cannibale – considéré comme l’un des cent meilleurs romans espagnols du XXe siècle – met en scène une jeune femme, auteure de livres pour la jeunesse, dont le mari est enlevé par un groupe terroriste qui tente de la rançonner. Et si c’était l’occasion pour finalement s’en débarrasser ? Dans la Bonne Chance, son dernier roman, face à un architecte de renom brusquement descendu d’un TGV pour s’enfermer des mois dans un village sinistre et fuir ses vieux démons, au risque de tout perdre, Raluca lui offre un bonheur inespéré et une nouvelle inspiration.
François-Michel Durazzo